LE QUOTIDIEN CÉRAMISÉ
Le temps façonne notre rapport aux objets quotidiens comme les vagues polissent inlassablement les galets des rivières pour les râper jusqu’à l'indifférence. Pourtant ce qui nous entoure porte les angles d’histoires silencieuses, une présence que nous ne percevons plus à force d'habitude.
C'est dans cette brume de l'ordinaire que Franz Huguet plonge, en archéologue des petites heures, pour en extraire les trésors insoupçonnés d’une présence à la fois reconnaissable et détraquée. Ses céramiques émaillées sont autant d’ouvertures sur un monde où le familier se pare soudain d'étrangeté, où l’espace entre le banal et l'étonnant se liquéfie. À travers ses pièces, l'artiste refabrique des objets familiers, modèles réduits attaquant les gueules mais jamais les identités. Ses fausses répliques rétrécies, nettoyées de toute esthétique lisse de l’ergonomie rentable ou dictée par les modes, se transforment en témoins de notre temps tout en leur insufflant une dimension intemporelle.
Sa démarche artistique se distingue par un refus délibéré du réalisme conventionnel ou de la copie simplement cosmétisée. Huguet s'attache moins à capturer l’essence même des objets que leur soudaine présence inexpliquée, comme si au détour de nos préoccupations, sans crier gare, elles réapparaissaient à la conscience, comme si ce que nous ne remarquions plus nous sautait subitement aux yeux. Ainsi parfois redécouvrons-nous, surpris, les formes du monde.
Dans ses mains, l'argile paperclay devient le médium d'une expression spontanée, où la première approche de la matière dicte souvent la direction que prendra l’œuvre. C’est cette spontanéité initiale, préservée tout au long de leur fabrication qui confère à ses pièces vivacité et authenticité, une élégance inattendue qui scelle la différence d’avec la référence et, précisément, ouvre donc le regard et l’imaginaire.
L’aspect un peu brut et libre des lignes et des reliefs suggère un geste rapide, presque éphémère, mais précis dans son intention. Cette combinaison singulière confère à l’œuvre une force d'expression qui se balance entre la maîtrise technique et la vulnérabilité, produisant une esthétique à la fois raffinée, désarmante, plus malicieuse que naïve, toujours brodée d’une bonne humeur facétieuse.
Ainsi, les pièces de Franz Huguet, à l’instar des fétiches Jivaros, oscillent entre la reconnaissance et le désaveu. Certaines de ses créations semblent également porter les marques du temps, comme des artefacts archéologiques fraîchement exhumés, tandis que d'autres affirment résolument leur contemporanéité cabossée. Cette espèce de double vue crée un dialogue vif questionnant notre rapport aux objets, à leur permanence dans le temps et l’histoire comme à leur utilité éphémère quotidienne.
L'émail, appliqué avec une maîtrise joyeuse et méticuleuse, vient parachever le biscuit de terre premier de chaque pièce, leur conférant leur caractère aussi bien de jouets que d’élégies, de sculptures que de fantaisies fragiles. Cette étape n'est pas qu'une simple finition : elle participe pleinement à l'identité de l'œuvre, créant des surfaces forçant la distance au réel et invitant autant le regard que le toucher. Pour certaines pièces choisies, l'artiste va plus loin encore, ajoutant des couches de peintures et de vernis qui enrichissent leur présence tout en leur donnant une allure guingoise tirée de comics ou de catalogues de bidules énigmatiques et désinvoltes.
Ébauches et œuvres terminées à la fois, esquisses et statues réunies, aussi modestes qu’exubérantes, les pièces de Franz Huguet transcendent les objets et se tiennent à la frontière entre l’enfance et la mélancolie, entre le jeu et la contemplation, entre le fugace et l’impérissable, entre les souvenirs et les projets.
Prototypes oubliés d’objets perdus ou imaginés !
Alan Humerose
Franz Huguet, alias François Maillard, né en 1959, et diplômé de l’ECAL vit et travaille à Fribourg. Il est enseignant en arts visuels à la retraite et responsable des expositions de la Galerie Trait Noir à Fribourg.